Changer de regard

Gare du Nord, je la raccompagne pour prendre son Thalys. Ma grande fille chérie. Nous profitons de nos dernières minutes avant de nous séparer pour retourner chacune à nos quotidiens éloignés.

Et lui là, il arrive, l’air de rien, le clochard. Et lui là, il vient me déranger, nous déranger avec son odeur puante, ses yeux vitreux et ses quelques mots qu’il peine à cracher tant il est dans un état d’ébriété … Pour nous demander ?… Je ne lui en laisse même pas le temps, tant mon corps hurle silencieusement « fiche le camp, laisse nous ! »

Je ne veux pas le voir ! Trop tard… Je ne veux pas l’entendre ! Trop tard… Je ne veux pas le sentir, trop tard aussi ! Il est bien là !…Mais rapidement il s’éloigne claudiquant… ouf ! 

Je n’en peux plus d’entendre leurs demandes et leurs plaintes quotidiennes, pas vous ? Les familles syriennes avec leurs cris et leurs pancartes, les musiciens qui s’improvisent et me cassent les oreilles, les conteurs de vies abîmées en désespérance… Taisez vous ! Laissez moi tranquille dans le confort de mes pensées avec mon silence, mes mots, le bien le beau le bon dont je cherche à nourrir chacun de mes jours. Allez travailler au lieu de quémander et cessez de me polluer ! Là maintenant, je veux juste profiter de ces dernières minutes avec ma fille, il n’est pas question de laisser quiconque me les voler !

J’entends alors la voix tendre et tranquille de ma chérie « Maman, je comprends que tu en aies marre, mais tu n’as pas le droit d’agir ainsi. Tu n’as pas le droit de l’ignorer. L’indifférence c’est la pire des choses. Il a besoin de se sentir exister, comme chacun d’entre nous, tu n’as pas le droit de le nier. Et tu ne peux pas lui reprocher tous les autres. Lui, tous les autres, il n’y peut rien.  Il est juste là avec sa vie compliquée avec laquelle il fait comme il peut et dont tu ne sais rien. Il demande juste de l’aide et tu n’es pas obligée de lui en donner. Mais juste au moins un regard… » 

J’ai senti comme une douce claque me caresser le visage… J’ai fait gloups… 

Depuis, ses mots m’accompagnent chaque fois que je les rencontre, les boiteux de la vie, ceux qui cherchent malgré tout une issue pour continuer à rester debout. Et je prête désormais attention à accepter de me laisser déranger dans ma vie confortable et aseptisée, le temps d’un regard, voire d’un sourire et parfois même d’une main tendue. Me laisser toucher par le beau le bien le bon en chacun d’eux, autant que possible, dans l’invisible aussi, le temps d’un regard. 

Pour accueillir leur humanité, juste la re-connaître, j’ai changé mon regard. Et ainsi me rappeler, que nous sommes égaux dans ce qui fait notre humanité, la fragilité. Inégaux dans nos capacités à trouver des ressorts pour nous relever de nos chutes, de nos traversées, plus ou moins douloureuses, plus ou moins nombreuses. Me rappeler enfin, que la vie ne tient qu’à un fil, parfois le fil d’un regard qui peut porter ou enfoncer. Et que je veux être de celles qui porte sur l’Autre ce regard qui aide à tenir debout.

Merci à toi, ma grande chérie, qui m’aide à garder l’oeil ouvert et le coeur tendre.

Merci à toi, l’Etranger qui vient me bousculer, ton cri vers moi m’aide à faire grandir mon humanité.

 

Photo Carnets de Pierre Deruelle 2014 « Clochard »

Quand la mort l’emporte

Sans crier gare sans dire aurevoir, elle est partie. Elle a quitté la vie elle a choisi la mort et pourtant … Elle avait des amis, elle était maman, elle était jeune, belle, rayonnante, elle aimait la vie. Et pourtant… la veille de la rentrée elle a choisi de nous planter.

Sans crier gare sans dire aurevoir elle a choisi la mort.

De celle qui tue, là, sans détours et sans retour… et qui nous laisse avec notre tristesse et notre colère…de ne pas avoir su entendre le râle de la plainte qui peu à peu étouffe, de ne pas avoir vu venir le venin de la mort peu à peu l’envahir… au point de l’emporter.

La veille de la rentrée elle s’est suicidée. Avec son franc-parler auquel nous étions habitués, cette fois-ci elle a dit « fuck » à la vie, ses ennuis, ses ennemis, ses soucis. Après avoir tant hurlé, c’est en silence avec un bras d’honneur qu’elle s’en est allée pour s’abîmer. Pour la vie.

Alors qu’elle nous donnait à voir sa lumière…c’est la nuit qui peu à peu l’emportait… éprouvée dans des combats qui l’ont menée vers le trépas. Mais nous, on la croyait, on la voyait forte et pleine  de vie ! Et pourtant…peu à peu elle s’enfonçait dans les ténèbres d’une mort assurée qu’elle a fini de choisir par épouser, à défaut de réussir parmi nous à exister.

Alors elle nous ramène elle nous rappelle les limites de notre humanité, la fragilité de nos âmes  souvent blessées qui ont besoin d’être aimées entourées choyées. De ces âmes que l’on croit fortes que l’on voit lumineuses, et pourtant ….Cela ne dure qu’un temps. Derrière la lumière rayonnante se cache souvent l’ombre menaçante. Celle qui fait peur et que l’on préfère taire. Car elle fait braire !

Que ta lumière continue à briller en nos cœurs endeuillés. Et que ta mort nous rappelle combien en nous, nous avons à nourrir le bon le beau le bien et la lumière. Pour éviter de donner à la mort le loisir de nous envahir au gré des tempêtes de nos vies …. Tapis dans l’ombre tu nous montres une fois encore qu’elle sait retentir sans prévenir. À nous de veiller pour rester animés.

Que ta lumière continue à éclairer nos vies … Que ta lumière continue à éclairer nos nuits.

 « Si j’ai occupé dans ta vie une place lumineuse, le sens de l’aventure est désormais de la remplir toi-même : sois ce qu’en moi tu as aimé, garde vivant ce que nous avons frôlé ensemble de plus haut ». Auteur inconnu.
Photo FesesiFeneni

Réinventer sa relation au travail

Suite « Retour du temps sabbatique »

31 décembre 2013. Fin de mon année sabbatique. Plus précisément, fin d’une année où le travail ne faisait plus partie de mon quotidien. Et demain j’y retourne. Enfin après-demain parce que demain c’est férié. Je n’ai plus de clients, ou plus exactement il m’en reste un seul. Plus de bureau. La seule chose que je sais c’est que je veux continuer à développer axcime. Comment ? Je n’en sais rien, mais différemment c’est certain.

Axcime a 8 ans. Les 7 premières années je les ai consacrées à me former, à apprendre mon métier et me professionnaliser grâce à une activité essentiellement tournée vers la formation pour cadres dirigeants au sein de grands groupes, sur des sujets variés comme le management, la communication, le développement personnel, la vente et la négociation. Et principalement en sous-traitance d’un cabinet de conseil. Axcime existe encore assez peu en direct face aux clients. Mais à la fin de ces 7 années, je sais que la suite sera autrement. En attendant je ressens un profond besoin de faire un stop. Pour une année destinée à « être » avec moi et ceux que j’aime. Voilà qui est fait, et maintenant j’ai besoin et j’ai aussi envie d’y retourner même si au fond de moi, j’ai peur !!! Continuer la lecture de Réinventer sa relation au travail

Penser notre animalité

« Hommage à Voltaire ! »

Ce sont les philosophes Grecs et surtout Aristote qui a défini l’homme comme « un animal pensant ». Pour le différencier de l’animal. Et sans doute avons-nous vite oublié « animal » pour nous concentrer sur « pensant ». C’est ainsi qu’aujourd’hui, j’ai à coeur de rendre hommage  à Voltaire, celui qui a été pour moi le premier « maître » à me conduire vers ma nature « animale ». Du latin « anima » (Souffle, âme). De ce qui m’anime, me met en vie. 

Pendant plusieurs années j’ai résisté à une demande familiale, avoir un chien. Quelle idée ! J’avais déjà 3 enfants, c’était bien assez non ?! Et puis voilà qu’en changeant de vie professionnelle, de la banque aux relations humaines… J’ai lâché… et Voltaire est arrivé l’année du V ! Un magnifique Golden Retriever aussitôt aimé, à peine nos regards se sont-ils croisés. Et pourtant, pendant de nombreuses années, je n’y voyais que les contraintes, des crottes à ramasser, des gardes à organiser, des dépenses de nourriture et de vétérinaire, des poils partout et des pattes sales à nettoyer…et pour au moins 15 ans ! Bref, ce n’était pas pour moi. D’autant plus que je portais un regard plutôt critique sur les maîtres gâteux de leurs animaux, dont je ne comprenais pas comment ils pouvaient nourrir des sentiments aussi forts à l’égard de leurs bêtes, qui n’étaient pour moi que bêtes ! Et dont je ne supportais pas non plus de marcher sur des trottoirs salis par leurs excréments non ramassés par des maîtres que je jugeais alors tout aussi bêtes que leurs bêtes ! Le chien n’avait pas sa place en ville, le chien n’avait pas de place dans mon foyer, même si à l’époque j’avais un jardin. Et je préférais satisfaire la demande d’animal de mes enfants par des poissons rouges…qui mourraient régulièrement, et dont il était assez facile de se débarrasser en tirant la chasse d’eau ! Continuer la lecture de Penser notre animalité

La fin du poulailler

Suite de « maman poule démissionne »…

Aujourd’hui c’est la fin du poulailler. Je vous l’avais annoncé et ça y est maman poule déménage ! Sans ses poules ! Enfin presque…

Ma dernière de 17 ans est bien partie en pension, comme elle l’avait demandé. « La providence » a su l’accueillir et je me sens désormais libérée puisque cette école a pris le relais pour poser le cadre bienveillant dont elle avait besoin pour se mettre au travail. Ce que je ne réussissais pas à faire, plus à faire. Ce changement s’avère être un succès, puisque ma petite poule termine l’année première de classe ! Ce n’était pas du tout un objectif pour moi, pour elle oui. Je suis très fière d’elle. De son courage, de sa volonté et de sa détermination à faire de ce choix difficile une réussite…Car malgré tout, les semaines sont dures et le dimanche soir c’est cafard !

Simultanément j’ai aidé l’une de mes ainées à arrêter une première année d’études… dans laquelle  visiblement elle n’était pas à sa place. Je la voyais dépérir dans un environnement qui l’encourageait à persévérer car « les premières années d’études c’est toujours difficile » lui disait-on et elle n’allait pas perdre une année ! Et bien non, je ne suis pas du même avis. Bien vivre c’est maintenant tout de suite, et je refuse la souffrance au travail qui est pour moi l’expression de besoins fondamentaux non respectés. Je l’ai aidé à se respecter… à faire de cette année une expérience positive pour construire la suite autrement. Résultat, elle s’est envolée aux Etats Unis pour apprendre l’anglais et expérimenter « l’étranger ». Quant à sa soeur jumelle, elle reste une étudiante heureuse, à l’étranger aussi. Ouf ! Continuer la lecture de La fin du poulailler

Tricoter un jour

Et voilà, j’ai terminé ! De tricoter mon plaid destiné à me tenir chaud….Et maintenant que c’est le printemps je n’ai plus qu’à trouver un placard pour le ranger pour l’hiver prochain ! Mais j’ai trouvé mieux, je l’ai offert à l’une de mes filles qui est enchantée…

Je n’avais pas tricoté depuis la grossesse de mes jumelles, où, allongée pour couver, je tricotais des chaussons, par dizaine, en regardant pousser mon ventre…Chaussons qu’elles ont d’ailleurs à peine portés… Et puis cet hiver, l’envie du tricot m’a reprise. En observant certaines femmes dans le métro. Alors j’ai tapé « tricoter » sur google, pressée de commencer et j’ai découvert un site que j’ai trouvé magnifique « we are knitters » où j’ai commandé de la belle laine et de belles aiguilles en bois !

Et me voilà, dans mon canapé, à peine rentrée, avec un rang à l’endroit, un rang à l’envers, un rang à l’endroit, un rang à l’envers. Avec l’aide d’un tutoriel j’ai retrouvé comment monter des mailles, et ce que point de riz, jersey et point mousse signifient…Ce qui ne m’a pas empêchée de me tromper et de ne pas respecter le patron ! Mais tant pis…Il est magnifique ! Continuer la lecture de Tricoter un jour

Retour du temps sabbatique

Ce matin en arrivant au bureau, après douze jours de vacances, je sens que c’est difficile…de changer de rythme et de m’y remettre. Et pourtant je suis mon propre patron, j’aime ce que je fais et je choisis mes clients, le paradis non ?

Mais là n’est pas la question.

Regardez d’où je viens ! Je serais bien restée dans ce paradis là, allongée sur ma chaise longue, à l’ombre des palmiers ! Et en même temps je suis aussi très contente d’être rentrée.

Ce difficile, c’est comme tout à coup un enfermement que je ressens…Dans un cadre qui se matérialise tant sur le plan physique en me retrouvant Paris 8ème dans mon bureau, que sur le plan des activités « choses à faire »… Rupture avec ce que je viens de vivre en pleine nature parfois même sauvage…. Alors par où je commence ? Faire une liste ? Je n’en ai vraiment pas envie.

Je choisis alors de me laisser guider par ce qui me ferait plaisir, là, juste maintenant… écrire, vous écrire, car je me dis que peut-être vous aussi, après ces vacances de printemps pour certains et certaines, vous vivez un peu du même difficile que moi… Continuer la lecture de Retour du temps sabbatique

L’art d’écouter les battements de coeur

C’est dimanche soir, 21h30, et j’ai envie de me retrouver seule, sous ma couette, dans le noir, à écouter la nuit et mon monde intérieur. Je me surprends alors à entendre les battements de mon coeur. De plus en plus fort. Il est là, et tranquillement, il bat. Alors je commence à penser à sa vie. Depuis 47 ans jour et nuit il ne s’est jamais arrêté. Et grâce à lui, je vis. Grâce à lui je viens aussi de passer un merveilleux week-end. Tout à l’heure je vais m’endormir et lui va continuer de veiller, de me veiller, de battre pour que je puisse fermer les yeux et me reposer. Ce que lui ne fait jamais. Puisque sans lui et son battement je ne serais pas.

Alors je me sens émue et je le remercie. Ce que je crois je n’avais jamais fait jusqu’à présent tant il faisait partie de moi, de ce à quoi je ne fais guère attention, de ce qui peut paraître si « normal » au point de l’oublier.

Peut-être est-ce livre qui a contribué à réveiller cette envie d’une écoute toute particulière de ce qui bat en moi. De ce qui bat en l’autre.

« L’art d’écouter les battements de coeur », de Jean-Philippe Sendker. Continuer la lecture de L’art d’écouter les battements de coeur

Maman poule démissionne

Roule ma pouleJ’ai commencé l’année dans mon lit. Non, je n’étais pas malade, je n’avais pas la grippe…pas encore. J’étais juste « épuisée ». Je le disais depuis quelques temps mais personne ne me croyait, forcément, j’avais toujours le sourire et je continuais à satisfaire les demandes de mon entourage, alors ce n’était pas crédible.

Mais ce matin là, après des vacances qui ne furent pas des vacances, parce que je n’ai pas respecté mon besoin d’intimité et de repos, je suis restée couchée. Un jour, deux jours…une semaine… Effectivement, le seul endroit où personne ne peut venir me chercher, c’est sous ma couette. Là, au moins, je suis tranquille. Enfin presque. Car cela n’empêche toujours pas mes poules de 19 et 16 ans de me demander « Maman, on mange quoi ce soir ? Il n’y a rien dans le frigo ! »… Me voir au lit et en pyjama ne les a pas du tout inquiétées tant elles sont juste concentrées sur…elles-mêmes !

Evidemment, je n’étais pas très fière de moi, la professionnelle de l’équi-vieS… au lit ! Vous imaginez ! Continuer la lecture de Maman poule démissionne