Suite « Retour du temps sabbatique »
31 décembre 2013. Fin de mon année sabbatique. Plus précisément, fin d’une année où le travail ne faisait plus partie de mon quotidien. Et demain j’y retourne. Enfin après-demain parce que demain c’est férié. Je n’ai plus de clients, ou plus exactement il m’en reste un seul. Plus de bureau. La seule chose que je sais c’est que je veux continuer à développer axcime. Comment ? Je n’en sais rien, mais différemment c’est certain.
Axcime a 8 ans. Les 7 premières années je les ai consacrées à me former, à apprendre mon métier et me professionnaliser grâce à une activité essentiellement tournée vers la formation pour cadres dirigeants au sein de grands groupes, sur des sujets variés comme le management, la communication, le développement personnel, la vente et la négociation. Et principalement en sous-traitance d’un cabinet de conseil. Axcime existe encore assez peu en direct face aux clients. Mais à la fin de ces 7 années, je sais que la suite sera autrement. En attendant je ressens un profond besoin de faire un stop. Pour une année destinée à « être » avec moi et ceux que j’aime. Voilà qui est fait, et maintenant j’ai besoin et j’ai aussi envie d’y retourner même si au fond de moi, j’ai peur !!!
Une part de moi très confiante se dit que je vais commencer par achever mon livre déjà bien avancé et le publier, pour développer en parallèle des conférences et ainsi donner de la visibilité à mon activité d’accompagnement de dirigeants et d’équipes. Voilà mon plan. Le livre est presque prêt, et en discussion avec un éditeur…qui finalement n’aboutit pas. Déception… A ce moment là se précipite en moi alors une autre voix, tonitruante, qui me dit « Enfin Christèle ce n’est pas avec un livre que tu vas nourrir ta famille ! Et puis ça va, tu as pris du bon temps pour te faire du bien pendant une année, tu as bien « financé le capital » comme tu dis…Maintenant au boulot ! Alors ta flûte traversière à 17h au conservatoire, tes cours de sculpture, la comédie musicale dans laquelle tu as décidé de danser, tes cours de pilates et ton écriture c’est bien joli tout cela mais ça ne rapporte rien. Donc stop et au boulot maintenant ! Tu verras quand tu feras du chiffre ! » Alors j’ai rangé le livre. Désappointée. Et progressivement j’ai aussi arrêté mes cours de flûte, la sculpture, le pilates… pour réussir difficilement à me mettre au travail…dans ce cadre que je connais très bien, 9h-19h00 ou presque, avec des tableaux excel de suivi commercial à remplir, des relances, des démarches, des rendez-vous à organiser….et c’est très compliqué, un vrai combat en moi.
Quand la vie, bien plus malicieuse est venue me dérouter !
Alors que je pensais chiffre d’affaires (que j’essayais !) prospection commerciale, positionnement, objectifs, résultat, visibilité….Elle m’invitait à prendre la route de l’Amour avec la rencontre d’un homme qui allait bouleverser ma vie de femme célibataire depuis plusieurs années, annonçant un nouveau printemps ! Un merveilleux cadeau que j’allais choisir d’accueillir après tout de même quelques résistances !…Etre amoureuse et travailler me semblait alors compliqué tant j’étais éprise… mais finalement c’est sans doute par cette voie là que j’avais à m’aventurer. Malgré tout il y avait toujours l’autre en moi qui s’agitait : « Et le boulot alors dans tout ça ? C’est bien beau d’être amoureuse mais les étoiles dans les yeux et dans le coeur ça rapporte rien ! » Oui j’ai beaucoup de mal à me concentrer pour travailler, personne ne m’attend, et je préfère largement me consacrer à ce nouvel élan, qui vient enrichir ma vie d’une façon qui m’anime bien davantage que le développement commercial ! Pourtant…Simultanément sur ma route, une autre rencontre, cette fois-ci un dirigeant qui me propose de me sous-louer un bureau. Et voilà que je m’installe entourée de financiers, le porche en face de celui où j’ai démarré ma vie professionnelle dans la banque 21 ans auparavant ! Et… à 500 mètres des bureaux de mon amoureux, joli non !? Hihihi !
Oui la vie est bien plus intelligente que nos petits cerveaux qui ne savent inventer que ce qu’ils connaissent déjà. Elle vient nous combler au-delà de ce que nous pouvons imaginer, si nous sommes en mouvement bien entendu, et si nous voulons bien nous y abandonner en laissant tomber nos business plans !
« Alors maintenant Christèle tu as tout pour bien travailler non ? C’est à dire aller au bureau tous les matins jusqu’au soir et te consacrer pleinement au développement de ton activité. » Rendez-vous, recherche d’association…Exploration handicap diversité… Je cherche mon mythe à réaliser ! En vain. Septembre 2015…18 mois se sont écoulés, c’est la rentrée et toujours pas vraiment de nouveaux comptes, beaucoup de portes se referment ou plutôt ne s’ouvrent pas. Et j’ai passé mon année avec ce combat entre celle en moi qui s’agite et qui fait et qui multiplie les démarches et les actions nourries par ces hommes qui me disent que c’est ainsi que se développe une activité…Et celle qui a juste besoin d’être, qui a appris à être et à suivre ses intuitions et ses sensations, qui a besoin de temps seule pour se laisser inspirer, de silence, de rien, d’écrire et de jouer…Et qui se sent mal dans ce monde de l’agir, du vite, d’un cadre qu’elle trouve étriqué, celui qui lui a été donné dès sa plus petite enfance…avec des horaires, avec ce qu’il est bon ou pas bon de faire…de croire et/ou de ne pas croire…de ce que « travailler » signifie.
Mais où suis-je là dedans ? Comment réussir à « être » pour faire et créer ce que je suis dans ce monde ? J’ai régulièrement des maux de tête en sortant de mon bureau. Prise de tête ? Je dois revoir ma façon de travailler. Je ne peux plus travailler de cette façon là. Comment j’intègre de mon année sabbatique dans chacun de mes jours ?
Je me sens perdue. Habitée par le doute et aussi l’angoisse par moment de ne pas réussir à subvenir à mes besoins économiques, l’angoisse d’échouer… Jusqu’à la remise en question. Tout en pensant aux oiseaux qui ne se demandent jamais comment demain ils vont se nourrir, je garde mon cap, lequel ?
Ce que j’ai fait jusqu’à présent ne fonctionne pas, ne fonctionne plus, toujours plus de la même chose donne de la même chose. Alors stop. Je choisis de continuer à marcher sur les pas de Carl Gustav Jung qui m’inspire déjà depuis plusieurs années (« Ma vie – Souvenirs, rêves et pensées, propos recueillies par Aniela Jaffé) … Pour retrouver ce lien avec le plus profond de mon être, avec mon âme d’enfant, cette part en moi qui sait et que le « moi » ne sait pas. En étant juste ici maintenant à faire ce qui me vient à l’esprit. J’arrête toutes mes démarches, et j’achète des coloriages, des mandalas et des crayons de couleur. Me voilà dans mon bureau à dessiner…
« Il y a dans le jeu de l’enfant un acte de foi en soi qui ne doute pas pour mettre en oeuvre sans tarder ce qui vient à l’esprit. En se donnant à son jeu, il se livre aux mouvements de l’inconscient qui l’anime en sous-main, pour en extraire ce qui lui appartient. Dans cette mesure il ne se perd pas, bien au contraire, il entre en possession de lui-même et en devient l’heureux propriétaire » Le sentiment de vide intérieur, Flore Delapalme, Eyrolles, 2013.
Jusqu’au jour où s’impose à moi l’écriture, terminer mon livre et le mettre au monde… Je comprends cette fois-ci que l’écriture est bien ce qui me permet de trouver ou retrouver ma colonne vertébrale… Et ce que je viens de traverser le chemin vers une nouvelle relation avec le travail que je suis en train d’écrire et de réinventer sur un mode qui soit le mien, c’est à dire où la part de ce qui ne rapporte rien, à priori, du temps sabbatique intégré dans chacun de mes jours, devient ma priorité, contre vents et marées, et la source de ma prospérité…
« Celui qui entre dans ce qui est sien, il lui faut chercher à tâtons ce qui est le plus proche, il lui faut ressentir le chemin pour trouver, de pierre en pierre. Il lui faut embrasser avec le même amour ce qui est sans valeur et ce qui est de grande valeur. Une montagne est un néant, et un grain de sable abrite des royaumes ou bien n’en abrite pas. Tu dois te défaire, du jugement, même du goût, mais avant tout de la fierté, même si elle repose sur des mérites. Passe la porte en toute pauvreté, misérable, humble, ignorant. » C.G Jung, Le livre rouge, Liber novus, L’iconoclaste/La compagnie du Livre rouge, Paris, 2012, p205.
Peut-être que ce temps sabbatique qui s’annonce pour vous est-il propice à revisiter votre relation au travail, la repenser pour peut-être aussi la réinventer ?… Je vous souhaite un bel été.
Photo @Christeleperrot 2016