Elle est devant moi, avec son très gros ventre, à la caisse livraison de mon supermarché habituel. A la taille de son caddie je devine que ce n’est pas son premier enfant.
« – C’est votre combientième ?
– 10ème ».
Silence. Respect Madame.
Le 10ème enfant. L’ainé a 12 ans et le dernier 18 mois. Non ce n’était pas un rêve de petite fille, en se mariant elle en voulait trois. Et puis la vie a fait le reste, enfin presque. Si elle est aidée, oui, juste quelques heures de femme de ménage et une jeune fille au pair. Pas besoin de plus, voyons, les ainés s’occupent des petits.
Encore un peu abasourdie, je la félicite pour cette jolie PME et nous nous quittons.
Quelques temps plus tard, alors que je sens naître en moi une fécondité nouvelle, je repense à cette femme et plus généralement à la fécondité.
Sans doute évidente pour la femme, c’est au cœur de la maternité que cette fécondité vient en général dans un premier temps s’exprimer. Pour le couple aussi comme une nécessité, un besoin de procréer. Comme une évidence et quelque chose de naturel qui vient alors se complexifier quand la vie en a décidé autrement.
Repenser à cette femme soulève chez moi la question de cette fécondité à réinventer. Pour la femme et pour le couple. Alors que parfois il peut-être plus facile pour certaines et pour certains de continuer à procréer ? Car il est vrai que lorsque l’on a trouvé les clés, pour 9 mois c’est régler, et nous savons alors à quoi nous sommes appelés.
Pour certaines femmes, ce deuil de la maternité est compliqué. Car c’est seulement dans cet état qu’elles trouvent ou pensent trouver une fécondité. Idem pour certains couples, qui s’accrochent à cette parentalité. Puis vient le moment où nous sommes amenés par la vie à traverser ce passage de la procréation à la co-création.
Laisser monter en soi ce désir de créer comme l’artiste sur sa toile. Accepter aussi des périodes de stérilité, et laisser ainsi la terre en jachère pendant quelques temps avant de pouvoir à nouveau la faire fructifier.
Car la fécondité appelle à la créativité, et nous permet de grandir seul et à deux pour produire du nouveau, de l’autre, du différent. C’est alors prendre le risque de laisser la vie nous révéler son mouvement intérieur pour nous laisser transformer par ce qui nous dépasse et renoncer à la contrôler.
Mais il peut-être alors plus facile de se réfugier dans de nombreuses activités, et d’oublier ainsi le cœur même de ce que créer pourrait signifier.
Renaître pour éviter de se flétrir, s’aigrir, vieillir. Accepter de mourir pour ainsi se laisser aller à se renouveler.
Une fécondité au cœur même de la vie et de la mort. Source de vie. Pour soi, pour l’autre et avec l’autre.