Eloge de la fragilité d’une femme ordinaire

eloge_de_la-fragilite_christele_perrotJe suis née « ordinaire », enfin presque… avec une tâche marron derrière le bras droit, qui allait grandir avec mes années, habillée de longs poils noirs… Et suffisamment présente pour susciter interrogations et regards de dégoût de la part de mes petits camarades de classe « Beurk, c’est horrible ! »

Alors  je cherchais autant que possible à la dissimuler et…je la rasais…8, 9, 10 11…12 ans. Le médecin dit stop, ça suffit, on l’enlève. Ouf ! Enfin, j’allais m’en débarrasser… Pour la troquer, malgré tout, contre une longue cicatrice. Peut être le sceau indélébile de ma différence ? 

C’est ainsi très jeune que j’expérimente la différence, renvoyée sans ménagement par la vie en groupe. Que je découvre ce qui est « normal » de ce qui ne l’est pas. D’ailleurs, qui a décidé de cette normalité ? Qui a décidé de cette image « normale » à laquelle nous devons coller ? Sans quoi nous somme rejetés, malmenés, niés … voire même tués.

Vivre avec ma différence…dont je croyais m’être finalement affranchie d’un coup de bistouri, pour remplacer l’horrible et le dégoût, par la curiosité et l’inquiétude que généraient désormais ma cicatrice…bien plus aimable. 

Treize ans, je rencontre une autre différence. Une qui me semble cette fois-ci bien plus compliquée qu’une tâche de naissance, très éloignée de mon univers et qui suscite chez moi « Oh les pauvres ! ils n’ont pas de chance » Celle qui déclenche l’envie d’aider, parce que c’est bien d’aider les autres, de donner de son temps pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer tout seul, pour ceux qui ne parleront jamais comme moi et ne comprennent pas non plus de la même manière, pour ceux qui ont une vie différente de la mienne, et de tous ceux qui m’entourent, et que l’on a mis dans la case « handicapés ». Considérés comme en incapacité, faibles, fragiles. Autre. Parce qu’ils ont besoin de l’aide des autres. Au-delà de l’âge de l’enfance et de l’adolescence… Mais comme chacun d’entre nous finalement. A des endroits différents. Même si cela ne se voit pas à première vue.

A 18 ans, les sortir du ghetto, dans lequel ils passent leur semaine, quelques dimanches par mois, me fait du bien. Leur différence m’apporte de la joie et donne du sens à ma vie d’étudiante « normale ». Dans un monde dont les principales valeurs qui m’entourent sont le travail et la performance, réussir et gagner de l’argent, s’amuser et jouir. 

Puis je m’éloigne d’eux pour construire ma vie à moi avec ceux qui en apparence me ressemblent. Je réussis mes études, je démarre ma vie professionnelle, je me marie et je mets au monde trois enfants. Selon le business plan que j’ai mis au point pour ma vie. Celui dicté par mon environnement et auquel visiblement j’adhère parfaitement. 

Mais quelques années plus tard, quelque part en moi en a décidé autrement. Mon corps en est le messager. Je tombe malade. De cette maladie qui fait qu’un jour on ne peut plus se lever. De cette maladie qui rend invalide au point même de vouloir supprimer sa vie.  Tant je n’y trouve plus le sens. Le « bon » sens, le mien. 

J’ai mis du temps à envisager et à accepter que je n’étais pas la femme « forte » que j’avais imaginée et que « mon monde » me renvoyait. Sans pour autant à l’époque parler de fragilité. Mais j’ai accepté de me faire aider pour retrouver le chemin de la vie. J’ai découvert les limites de ma nature…humaine. J’ai découvert la limite de la puissance de mon mental qui contrôle, planifie, décide, organise sans écouter le coeur, sans écouter le corps, sans écouter les autres. J’ai découvert la limite à ne pas se fixer de limites. 

Dans cette traversée, j’ai rencontré ma fragilité que j’ai enfin accepté d’aimer. De celle qui fait douter, remettre en question, abandonner, quitter…croyances, représentations, idéaux, possessions, préjugés. De celle qui met face à la réalité, de la vie, de ses intempéries et de ses trésors, que nul business plan ne peut planifier, si l’on veut bien si abandonner. De celle qui ouvre la voie et la voix du coeur et qui permet d’aimer.

Ainsi  j’ai rompu des contrats à durée indéterminée. Je me suis dépossédée de ce que j’avais acquis et de ce que je croyais acquis ! J’ai découvert ma solitude, le face à face avec moi-même et avec ma vie…un chemin vers l’intériorité …vers la sécurité d’une autre portée, intérieure. De celle qui se sait locataire sur cette terre et qui n’a plus besoin « d’avoir » pour se sentir exister, pour se sentir aimée.  Grâce à la fragilité que j’ai bien voulu laisser m’habiter,  j’ai retrouvé ce que j’étais, ce que je suis, et ce que j’avais égaré, en partie : mon humanité. 

Oui  j’avais choisi, pendant de nombreuses années, de marcher à côté, sans me l’approprier. Sans doute par peur qu’elle ne me fasse tomber. A trop la nier, elle est venue me terrasser. Sans pour autant m’abîmer. Alors je suis retournée voir mes amis aux handicaps visibles. Mais cette fois-ci pour les rencontrer et les aimer. Et c’est eux qui m’ont aidée. A retrouver ce chemin de « l’être ». Qui se cache derrière les apparences. Cette fois-ci je leurs ai prêté mes mains mes jambes mes yeux et mes oreilles, ils ont pris soin de mon âme blessée. Par le silence, l’écoute, la présence à être juste là maintenant, j’ai appris à parler d’autres langues…celles qui permettent de rencontrer au lieu de juger. Celles qui permettent d’aimer, de créer, de co-créer, seul et ensemble…de vivre ensemble sans préjugés.

La fragilité, ma fragilité est devenue ma force, celle qui ouvre la voie vers une nouvelle fécondité. Vers la prospérité. Interdite dans notre société, la partager, témoigner permet de l’accueillir, de l’intégrer, pour en faire notre alliée. Car d’elle nous avons besoin pour nous transformer et nous aider à « être » avec humilité. Nous, les handicapés.

Nous nous sommes nés et nus nous repartirons de cette terre. En attendant, laissons nous féconder pour créer ce à quoi nous sommes appelés. Laissons de côté la rentabilité, le pouvoir, la gloire, la conquête de l’espace. .. apprenons à être simplement. A vivre tous ensemble.  Car la seule chose dont nous resterons propriétaires sur cette terre, c’est bien de notre humanité. Celle que aurons su cultiver, partager, et transmettre avant de nous enterrer, et qui elle seule sauvera l’Humanité !

 

Je remercie Véronique de Pracomtal, Directrice du colloque « Fragilités interdites » organisé par l’Arche. Pour son invitation à y participer et toutes les rencontres qu’il a générées. Qui m’ont permises de revisiter ma fragilité, de témoigner et de m’inspirer. Par les échanges que j’ai pu avoir avec Michel de Rebours Directeur Général de l’Institut In Viam, Thierry des Lauriers, Directeur Général Aux Captifs, la libération, Alain André, Directeur Santé Sécurité, Qualité de Vie au Travail et Nouveau Contrat Social pour le Groupe Orange. Et aussi, Marie Roques, journaliste pour Courrier Cadres, Aimée Le Goff, journaliste pour handicap.fr, Sophie Nouaille animatrice radio « En quête de sens » sur Radio Notre Dame, Anne Hartenstein Directrice de l’agence de communication ANNEHARTENSTEIN qui a organisé et facilité ces rencontres.

Photo : @Christeleperrot

Une réflexion sur “Eloge de la fragilité d’une femme ordinaire”

  1. Bonjour, merci pour votre témoignage. Si vous êtes sur lyon; nous pourrions nous rencontrer. Formée également à l’IDS, j’ai à peu près la même histoire que vous. amicalement
    Gaëlle

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